Avec la financiarisation de l’immobilier apparue à la fin des années 80, les immeubles auxquels on appliquait les stratégies de placement d’actifs ont été considérés comme des actifs financiers.
Cette tendance s’inverse aujourd’hui pour deux raisons majeures. D’une part grâce à l’impact croissant de la notion de développement durable qui s’est vertueusement accompagné de la volonté pour les entreprises de mesurer leurs performances économiques au regard de l’impact social et environnemental et de remettre les enjeux sociétaux au cœur de leurs préoccupations. D’autre part à la lumière de la crise sanitaire qui a mis en évidence la résilience de certains actifs immobiliers et accéléré la prise de conscience des investisseurs de l’urgence à prendre en compte les mutations sociales et économiques dans leurs stratégies d’investissement.
À la fin des années 90, la financiarisation de l’immobilier a été fortement encouragée avec l’afflux des investisseurs angloaméricains. Dans cette approche, l’immeuble n’avait aucune importance propre, seul comptait le capital initial, le cash-flow et la rentabilité à l’exit time. L’évaluation des immeubles s’est opérée alors en fonction des flux et des revenus qu’il générait.
Dès les années 2000, un courant de pensée inspiré du développement durable a vu le jour dans la finance traditionnelle avec l’Investissement Socialement Responsable (ISR) défini comme « un placement qui vise à concilier performance économique et impact social et environnemental en finançant les entreprises et les entités publiques qui contribuent au développement durable quel que soit leur secteur d’activité » (selon une définition de l’association française de la gestion financière et le forum pour l’investissement responsable de 2013). Cette tendance s’est accompagnée de la mise en place d’une politique Responsabilité Sociale des Entreprises (RSE) au sein des entreprises, devenue en quelque sorte le corollaire de l’ISR. Il s’agit, selon la commission européenne, « d’une démarche d’intégration volontaire de préoccupations sociales et environnementales dans leurs activités commerciales et leurs relations avec les parties prenantes ».
Le lien existant entre RSE et ISR consiste à encourager les investisseurs à intégrer des critères extra-financiers dans la sélection de leurs investissements, incitant de ce fait les entreprises à adopter ou améliorer leurs politiques RSE.
De nombreuses initiatives internationales et européennes sont venues conforter et règlementer cette tendance en faisant peser des objectifs extra-financiers sur les fonds d’investissements. Par exemple en les obligeant à communiquer ce qu’ils font en matière de prise en compte des critères ESG (Environnement Social et Gouvernance) et de préciser en quoi leurs portefeuilles contribuent à la transition énergétique.
Précisément dans le secteur de l’immobilier tertiaire les utilisateurs sont des entreprises soucieuses du respect de leur politique RSE et d’autant plus après la crise sanitaire qui a stimulé de profondes mutations sociales et bouleversé les modes de travail. Les utilisateurs ont dû s’adapter à un marché du travail en plein changement et faire face à une exigence de qualité de travail et des services associés pour d’une part fidéliser leurs ressources humaines et attirer de nouveaux talents et d’autre part maintenir leurs performances financières.
Dès lors optimiser et valoriser les actifs pour obtenir le meilleur rendement nécessite de s’intéresser à ses utilisateurs et de bien connaître ses immeubles pour établir la meilleure stratégie.
La logique purement financière ne suffit plus à donner de la valeur à l’immeuble car elle ne prend pas en compte les services, la satisfaction client, ses besoins et aspirations ni les caractéristiques intrinsèques de l’immeuble, son évolution ESG ou son potentiel de durabilité.
Une évolution progressive, accélérée par la crise sanitaire, a inversé la vision purement financière dans la gestion de toutes les classes d’actifs.
Aujourd’hui les investisseurs institutionnels comme privés sont en quête de sens pour leurs investissements et plébiscitent des produits responsables dans leur stratégie d’investissement sans oublier que c’est stratégiquement profitable d’un point de vue économique et réputationnel, les investissements vertueux étant également devenus moins risqués et beaucoup plus résilients.
Preuve en est avec les quelques dix labels finance durable existant sur le marché européen. À la fin de l’année 2021, 1799 fonds avec un label durable ont été recensés en Europe pour un encours 1 330 mds € et 877 fonds « Article 9 » (Fonds durables SFDR ouverts aux investisseurs particuliers) pour un encours de 361 mds € selon Novethic.
L’ISR immobilier constitue donc à la fois un réel enjeu et la réponse aux attentes des investisseurs.
D’un point de vue immobilier, l’ISR permet d’anticiper les risques et de préserver la valeur des actifs immobiliers. Un bâtiment réversible saura répondre à une conjoncture difficile et s’adapter pour proposer un nouvel usage en fonction des besoins (coliving, flexoffice, structures sanitaires, senior housing…). La prise en compte de critères non-financiers permet aux gestionnaires d’actifs d’identifier les opportunités de croissance et de rendre les placements plus durables et plus vertueux.
La performance des immeubles se mesure à l’étendue et la qualité des services qu’ils offrent, modulables en fonction des territoires et de la démographie laissant une large place à la créativité et l’innovation.
Dans cette nouvelle tendance, les investisseurs s’approprient les mutations de long terme pour se concentrer sur les opportunités durables et ainsi minimiser leurs risques en prenant en compte des données jusque là non considérées comme les mutations démographiques, la sécurité, l’intelligence artificielle.
C’est ce que l’on appelle « l’investissement thématique », approche qui se concentre sur les tendances de long terme comme l’évolution des villes, le changement climatique, la rareté des ressources, les mutations sociales entre autres, entraînant des changements structurels dans les secteurs économiques.
L’heure est à la mixité des usages, à l’adaptabilité des structures et à l’offre de services ou tout doit être pensé pour l’utilisateur sur le plan professionnel mais aussi extraprofessionnel. L’immeuble devient un pourvoyeur de bien être et de sérénité permettant à chacun de trouver son équilibre entre travail et vie personnelle.
Face à cela les défis des assets manager et gérants de fonds sont nombreux. Outre la prise en compte du fort impact de la digitalisation et de l’intelligence artificielle qui ont envahi les process d’évaluation des performances, des risques et la gouvernance des données des actifs, ils doivent repenser leur façon d’appréhender les actifs immobiliers dans une logique plus vertueuse, plus humaine et s’intéresser à …. l’immeuble.